PRÉSENTATION

Je suis venu rencontrer Regina Domingo. En parallèle de son travail de guide, elle est mondialement connue en tant qu’activiste dans le milieu de la protection marine.

En 2014, elle a fondé le Nakawe Project, une ONG lanceuse d’alerte qui s’est rapidement fait un nom par la diversité de ses approches : Actions coup-de-poing, documentaires chocs, études scientifiques, lobbying ; le tout largement relayé via les réseaux sociaux pour sensibiliser le plus grand nombre.

LE PROJET EN DÉTAILS

Préparation de l’expédition

Le lendemain de la sortie en bateau avec Pelagic Safari, nous avons rendez-vous chez elle pour une interview.

Le temps presse, nous sommes déjà en retard pour partir en expédition. Comme nous avions vu la veille, Regina vit à 100 à l’heure. Jérôme n’a même pas le temps de poser la caméra que l’interview commence.

Elle m’explique les différentes campagnes en cours. A l’époque elle se battait pour que le requin Mako soit mieux protégé. Cela passait par des recherches sur le nombre de pêches, des enquêtes dans les grandes surfaces et la sensibilisation des autorités. Elle a depuis réussi. Ce requin est particulièrement vulnérable face à la surpêche et son niveau de protection a été augmenté, en partie grâce au travail de Regina.

Elle m’explique tout cela rapidement car nous devons partir pour une aventure qui restera un des moments les plus incroyables de ma vie. 

Le Nakawe Project travaille également directement sur le terrain auprès des communautés de pêcheurs. En leur proposant des moyens de diversifier leurs sources de revenus, notamment via l’écotourisme, l’ONG tente de réduire leur dépendance financière à la pêche. Et justement, le Nakawe project souhaite développer ses propres activités d’écotourisme afin d’apporter des solutions locales.

Avant notre arrivée, Regina avait prévu de partir à Bahia Magdalena avec des amis pour « tester » la zone dans ce but. Elle nous a proposé de les accompagner.

L’idée est de rejoindre Puerto San Carlos, une communauté de pêcheurs nichée face à l’océan Pacifique, en dehors de tout sentier touristique.

Des contacts locaux ont prévenu Régina qu’un spectacle sous-marin incroyable se déroulait au large à cette époque de l’année.

Nous partons donc de chez elle avec une équipe géniale : Jay le fondateur d’un des clubs de plongées les plus écologiques de Cabo San Lucas, David le co-fondateur du Nakawe Project et instructeur de plongée à La Paz, Kristy qui est devenue amie avec Regina à force de participer à ses sorties en mer, Jeff qui est divemaster sur des croisières plongées requins aux Bahamas et Stefano, champion chilien de kitesurf.

Départ

Tout le monde se retrouve au supermarché à la sortie de Cabo San Lucas. Il faut faire les provisions pour plusieurs jours car nous partons dans un endroit reculé de la Baja.

Après avoir fait les pleins, nous partons pour Puerto San Carlos. C’est toujours un plaisir de conduire en Basse Californie et avec nos déplacements précédents, nous sommes habitués à la route.

Il nous faut plusieurs heures pour rejoindre Ciudad Constitucion. Il est déjà tard et l’équipe se retrouve pour dîner dans un restaurant sur le bord de la route.

Regina nous explique le but de l’expédition des jours à venir : partir au large sur une petite embarcation avec un pêcheur local et tenter de voir des marlins en se mettant à l’eau.

Le marlin rayé, que nous allons voir, ressemble à un espadon. Il pèse entre 40 et 150 kilos et certains spécimens mesurent jusqu’à 4 mètres !

L’idée est de faire le plus de photos et vidéos sur les marlins pour sensibiliser à la protection de l’espèce qui est en voie de disparition et pourtant beaucoup pêchée. Chaque année à lieu dans le sud de la Basse Californie le tournoi de pêche le plus rémunérateur au monde. Les participants, venus du monde entier, s’y disputent plusieurs millions de dollars en essayant d’attraper le plus gros marlin possible, et cela en pleine période de reproduction de l’espèce. Les individus femelles en pleine grossesse sont donc des cibles de choix, en dépit de tout bon sens. Mettre fin à cela fait partie des combats de Regina.

Mais aussi voir le potentiel pour la mise en place d’une activité touristique autour de la migration des marlins. L’idée est toujours la même, qu’un spécimen vivant rapporte bien plus qu’un spécimen mort.

L’équipe est extrêmement motivée. Malgré l’expérience des gens présents, à part Regina, personne ici n’a pu voir des marlins dans l’eau !

Nous finissons le diner, il reste encore de la route jusqu’à Puerto San Carlos

Puerto San Carlos

Il nous reste 2 heures de route, de nuit, sur de la piste pour rejoindre Puerto San Carlos. La distance n’est pas forcément longue mais entre les vaches et les nids de poules, cela prend du temps !

Nous arrivons à Puerto San Carlos, un port de pêche hors de tout sentier touristique. Regina avait les contacts pour un gîte local aux conditions spartiates. Nous déballons tout le matériel et préparons l’expédition du lendemain. Nous sommes censés partir au lever du jour pour rejoindre un pêcheur local avec qui Regina travaille. Il nous emmènera au large avec sa lancha (petit bateau de pêche local) où nous essayerons de trouver une « bait ball », une agrégation de petit poissons regroupés en formation sphérique afin de se protéger de leurs prédateurs.

Ces bait balls peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre et de nombreux animaux viennent s’y nourrir : marlins, otaries, oiseaux, requins, et même baleines certaines fois !

Nous sommes surexcités et en même temps un peu effrayés à l’idée de sauter à l’eau au milieu de cette chasse, à plusieurs kilomètres de la côte.

Il faut préparer tout le matériel pour demain. L’eau du Pacifique est bien plus froide que celle de la mer de Cortez. Dommage pour Jérôme qui n’a pas de combinaison ! Nous sortons tout le matériel vidéo et je vois que je ne joue pas dans la même cour que les gens présents ! Je suis loin d’avoir la même qualité photo et vidéo. Mais justement, ils ont pu faire des photos impressionnantes et vous en retrouverez certaines sur la page Instagram : Nakawe Project.

Une fois que tout est prêt pour le lendemain, je pars me balader dans Puerto San Carlos. Le contraste avec Cabo San Lucas est impressionnant. Ici, pas de touristes et un air de village perdu loin de tout. Je pense au lendemain avec un peu d’appréhension, cette fois c’est vraiment hors des clous !

Départ vers l’inconnu

Nous nous réveillons avant l’aube. Après un café rapide, direction la jetée pour rejoindre le contact de Regina.

Je monte à l’arrière du pick-up, la fraicheur du matin réveille. Et l’excitation monte !

En arrivant nous débarquons tout le matériel puis nous nous dirigeons vers le bout du ponton. Le soleil commence à apparaitre, tout est calme.

Le capitaine nous attend. C’est un pêcheur local qui s’est mis d’accord avec Regina pour nous emmener voir les marlins. Il y a plus à gagner à la journée à emmener des gens qu’à pêcher. C’est l’idée derrière tous les projets d’écotourisme : un animal vivant vaut bien plus qu’un animal pêché.

Il nous fait signe de monter à bord de sa lancha, un bateau de pêche local de 8 mètres de long et deux de large avec coque ouverte. Plutôt petit sachant que les marlins sont parfois à plus de 20 kilomètres des côtes !

La navigation dans la zone de Bahia Magdalena est un peu particulière. La baie est énorme et plutôt que de faire le tour pour arriver à la sortie, ce qui prendrait des heures, les pêcheurs locaux utilisent une technique particulière.

Le bateau quitte la jetée, et au lieu de se diriger vers la sortie de la baie, le capitaine prend une autre direction. Nous allons rejoindre un endroit où une petite langue de terre ne sépare la baie de l’Océan Pacifique que d’un petit kilomètre. 

La navigation dans la baie est magnifique. Le soleil se lève et nous passons des bancs de sables où des milliers d’oiseaux vivent. La mer est complétement plate. Je finis mon café en parlant à Stefano. Il est champion Chilien de kite surf. Il y a quelques années il a découvert la Basse Californie lors d’un voyage d’entrainement. Il n’en est jamais reparti. Et quand il me raconte sa vie dans cet endroit magnifique, entre session de kite et escapades sauvages, je comprends pourquoi.

Le bateau ralentit, nous arrivons vers une plage où nous attendent un 4×4 et une remorque. Plutôt que de perdre des heures à traverser la baie, les pêcheurs qui disposent de bateaux suffisamment petits utilisent cette technique.

Le bateau met un petit coup d’accélération pour monter sur la remorque qui est à moitié dans l’eau et nous voilà en route, sur un bateau, sur la terre !

Le Pacifique

La traversée de la langue de terre dure une petite demi-heure et passe par une piste cabossée. En étant sur le bateau, la sensation est plus qu’étrange !

Une vingtaine de minutes plus tard, manœuvre inverse. Le 4×4 fait une manœuvre en arrivant sur la plage, cette fois du côté Pacifique, et le bateau est de nouveau à l’eau.

Ce n’est plus la même histoire que dans la baie. Le vent souffle et la mer est agitée. Le capitaine met cap à l’Ouest, plein large et face au vent. Autant dire que la navigation est agitée ! Nous en avons pour plus ou moins une heure ainsi pour rejoindre un mont sous-marin où il peut y avoir des agrégations de marlins en chasse… et d’autres prédateurs !

Je profite de ce temps pour continuer à échanger avec cette équipe géniale. Jay est le créateur de Dive Ninja, le plus grand club de plongée écotourisme de Cabo San Lucas. Il est venu car, si ce que nous voulons faire marche, il veut mettre en place des excursions d’écotourisme en partenariat avec les pêcheurs locaux dans la perspective de préserver l’endroit. Justement, c’est aujourd’hui en place et je vous invite à consulter le site Dive Ninja pour plus d’informations. Jay est une personne comme on en rencontre peu et c’est inspirant de voir un entrepreneur s’engager ainsi.  Et voir que cela marche ! Avec Dive Ninja il a voyagé partout dans le monde et plongé avec tout type d’animaux, du crocodile à la baleine en passant par les requins. Mais jamais de marlins !

C’est une première pour tout le monde ici, malgré leurs expériences. 

Petit à petit la côte de la Baja disparait à mesure que nous avançons sur le Pacifique. Nous passons à quelques kilomètres d’une île volcanique, entourée de nuages qui semble perdue au milieu de rien.

Un spectacle magnifique mais un peu angoissant. Elle disparait elle aussi au fur et à mesure de notre navigation. 

Pas un bateau sur l’eau, nous sommes seuls.

Nous nous équipons petit à petit et préparons le matériel vidéo.

Au bout d’une grosse heure à foncer face aux vagues, le bateau ralentit. Le capitaine a vu quelque chose.

Bataille sous-marine

Des dizaines d’oiseaux marins volent près de l’eau et plongent à un endroit, à environ 100 mètres de nous. L’atmosphère devient électrique, avec aussi un peu d’appréhension. Qu’allons-nous trouver sous l’eau ? Regina nous a prévenu que ces chasses attiraient tous les prédateurs du coin, requins compris. A 20 kilomètres des côtes et à plusieurs heures du premier village, il vaut mieux éviter les problèmes.

L’eau est bleue gris, peu engageante. Là où les oiseaux plongent, elle bouillonne. Le capitaine approche doucement le bateau. Nous sommes tous prêts, assis sur le rebord du bateau. A une vingtaine de mètres il crie « AHORA » et sans réfléchir plus nous sautons à l’eau.

Difficile de décrire ce que nous voyons. Nous avons eu énormément de chance lors de notre voyage en Basse Californie et avons pu voir une vie marine impressionnante : requins, otaries, baleines, … A chaque fois les interactions étaient calmes.

Ici, c’est la guerre ! Des dizaines de marlins rayés et d’otaries se lancent à la poursuite d’une bait ball de 2 mètres de diamètre. Elle est formée de petits poissons qui tentent de se protéger ainsi, et en se déplaçant très vite. C’est incroyable !

Les otaries et les marlins paraissent énormes, certains de plus de 2 mètres. A une vitesse impressionnante les animaux se relayent pour foncer sur la bait ball en essayant d’attraper du poisson. Et celle-ci se déplacent très vite !

On voit passer des éclairs violet et bleu électrique, les marlins se déplacent à une vitesse impressionnante. Je suis complétement scotché par ce que je suis en train de voir, à tel point que j’oublie de filmer.

Une minute plus tard, c’est fini. Le champ de bataille s’est déplacé, suivant la bait ball qui tente de fuir. Encore ahuri par ce que nous venons de voir nous remontons sur le bateau, tous sans voix.

Le capitaine éclate de rire devant nos têtes et nous dit que ce n’est que le début. Déjà, il déplace le bateau pour suivre la bait ball et nous remettre à l’eau.

La journée s’est déroulée ainsi, à suivre la bataille à la nage ou en bateau pour continuer à voir ce spectacle unique le plus longtemps possible.

Une fois, j’étais tellement pressé de retourner à l’eau que j’ai sauté du bateau au mauvais moment. Pendant une seconde, je ne voyais plus rien. J’étais tombé au milieu de la bait ball ! Sous mes palmes je voyais les marlins prendre leur élan pour me foncer dessus et changer de direction au dernier moment !

A part ce petit coup de stress, la journée s’est parfaitement déroulée. Les marlins sont peu engageants avec leur rostre énorme et leur vitesse, et les otaries peuvent se montrer belliqueuses. Mais nous n’avons pas eu de problème et aucun requin ne s’est montré.

Retour à la réalité

Nous avons passé plus de 6 heures à suivre la bait ball et la bataille sous-marine qui l’accompagnait. L’expédition s’est finie quand la bait ball a complètement disparue, consommée par tous les prédateurs présents. 

C’était une des plus belles expériences de ma vie. Tout le monde est remonté sur le bateau et nous avons commencé la longue navigation retour dans un état second, de fatigue et d’euphorie.

Au soleil couchant, nous étions encore au large et en passant nous avons été salués par deux baleines à bosses qui faisaient des sauts à une centaine de mètres du bateau.

Bahia Magdalena est un paradis sauvage et j’espère sincèrement que cela restera ainsi.

Après avoir refait tout le chemin inverse, nous arrivons au ponton alors la nuit était tombée.

Il nous manquait des informations sur Nakawe et je voulais refaire une interview de Regina. Je lui ai demandé sans conviction de faire ça en arrivant au gîte mais tout le monde était trop fatigué.

Nous avons mangé dans un restaurant local à refaire la journée de fou que nous venions de passer.

Tout le monde était en extase !

Les autres allaient repartir en mer le lendemain mais avec Jérôme c’était pour nous la fin du voyage, il fallait rentrer à La Paz.

Après une dernière interview épique de Regina à 4 heures du matin, où encore une fois cela allait à 100 à l’heure, nous avons souhaité bonne chance à cette équipe géniale et nous sommes partis.

Cette dernière traversée de la Baja commençait à sentir la fin du voyage mais il restait encore quelques surprises !

GALERIE